Qui suis-je au-delà du reflet de la société à laquelle je m’identifie ? Quand la quête du bonheur ne mène qu’à la misère intérieure, voilà la question qu’il convient de se poser. L’être humain croit souvent se connaître, mais il ne cesse de s’identifier aux nombreuses étiquettes qu’il se colle à longueur de vie, enfouissant tout ce qu’il a de vivant, son essence, sous une épaisse couche d’apparences et de conventions.
Lorsqu’il croit se regarder dans un miroir, lorsqu’il croit se reconnaître, il n’observe qu’une enveloppe, un déguisement, un cumul de couches successives lui conférant l’aspect uniforme d’une momie embaumée. Comment s’étonner alors que l’être humain dit “moderne” sombre dans ces multiples maladies psychiques qui n’existent tout simplement pas chez les peuples dits “primitifs”, comme les aborigènes par exemple ? La misère humaine n’est pas toujours celle que nous croyons observer. Notre pauvreté intérieure est sans doute bien plus dramatique que la pauvreté matérielle.
Quand la vie agonise ainsi sous son armure, l’être humain sombre dans le non-sens, la dépression. Il devient alors incapable de contempler avec son coeur, de s’extasier face à un simple sourire ou la beauté d’un paysage. Quand il croit aimer, il s’attache, il tente de posséder, il emprisonne égoïstement, exclusivement. Son mental fiévreux tente de se rassurer en se substituant au coeur. Plus il est malheureux et plus il cherche son bonheur à l’extérieur, se lamentant de tout ce qui l’entoure en éternel insatisfait. Mais rien ni personne d’extérieur ne peut combler son vide essentiel. L’étincelle de vie étouffe sous la chape de ses conditionnements au point de se retrouver totalement déconnecté de lui-même. Vivre devient intolérable et mourir profondément angoissant. Peut-on imaginer pire enfer que celui-ci ?
Alors un intense sentiment d’impuissance envahit l’être totalement perdu qui se met vainement en quête de trouver dans les institutions tout ce qu’il a rendu inaccessible en le confinant au plus profond de lui. Ainsi naissent les religions ne faisant que répondre à la demande d’une humanité coupée d’elle-même. L’être se dépossède un peu plus encore de ce qui l’habite en se soumettant à l’ordre religieux, parfois à un gourou de pacotille, espérant passivement recevoir en échange les clés d’un hypothétique bonheur tombé du ciel.
Mais le bonheur ne peut être le fruit d’un compromis, d’une demi-mesure. La question n’est même pas de le trouver puisqu’il fait partie intégrante de nous, mais seulement de lui permettre de se déployer de l’intérieur. Pour y accéder véritablement, il faut être prêt à mourir à ce que nous croyons être, à ces couches successives de masques et d’apparences auxquels nous nous identifions. Quel que soit le chemin envisagé, on ne peut renaître à soi sans mourir à ses illusions.
Pourquoi attendre l’incontournable échéance du corps physique pour renoncer à cette prison intérieure que nous nous sommes construite ?
Cette peur de la mort tant refoulée par notre société moderne, n’est-elle tout simplement pas la crainte de renoncer à nos illusions ?
Voilà quelques réflexions intéressantes en ce jour de Toussaint…